Les motos ne sont pas des
engins réservés uniquement à la gente masculine... En tout cas pas au
Mali. Chez moi de Kayes à Kidal en passant par Tombouctou et son sable fin qui
fait tomber (surtout les femmes, faisant fi de la promotion féminine et de la parité
homme-femme.) tous les jours.
L’avènement de la
Djakarta au Mali a coïncidé avec
l’ère de la fausse démocratie qui
a suivi le soulèvement populaire contre le pouvoir de Moussa Traoré (président
de 1968 à 1991).
Avant cette période, avoir une moto était un privilège pour
quelques maliens aisés. Les femmes ne pouvaient s’acheter de tels bijoux,
d’ailleurs elles préféraient à cette période les vrais bijoux (bien plus brillantes).
Mais il ne faudrait pas que j’oublie la relation entre les villageoises- je
veux dire les femmes rurales- avec la bicyclette. Elles parcourent des
kilomètres entre le village et les champs qui peuvent être bien éloignés. Comme
au Burkina Faso d’ailleurs. Les citadines préfèrent emprunter les sotramas, se disputant quotidiennement
avec les apprentis chauffeurs qui sont de véritables spécimens en matière d’impolitesse.
La vantardise est un sport national au Mali. Il suffit
d’avoir un lien éloigné avec une personne qui a un petit mérite dans un domaine
et hop ! On s’en vante. Mon frère est procureur ! C’est ma cousine! C’est
ma sœur ! Il est douanier et possède trois voitures luxueuses (sinon plus),
ma sœur est marié à tel artiste ! Mais je n’ai vu personne se vanter
connaitre un apprenti de sotramas, le
mentionner même dans une conversation.
C’est à se demander s’ils sont tous des orphelins et n’appartiennent à aucune famille. Je me
suis tordue de rire en attendant un vieillard faire des bénédictions à un
enfant qui le soulagea du poids qu’il portait « Que Dieu ne fasse pas de toi un apprenti qui n’a pas
de famille ni d’ami ».
Avec la libéralisation des prix et le développement du
commerce avec la Chine, les Djakartas ont fait leur apparition dans la
circulation de Bamako qui a fait peau neuve par le truchement de Alpha Oumar
Konaré qui a clairsemé des monuments-que les bamakois appellent
« boli » fétiches- dans les carrefours de la capitale. Cela a été suivi d’une augmentation des
salaires qui désormais tombent à terme échu. Le prix de ces motos qui ont l’avantage d’une
consommation basse et d’une faible
pollution (d’après les fabricants car elles fument beaucoup quand elles
vieillissent). Le prix varie entre 350.000 à 400.000 F CFA selon le model.
Le premier model était appelé « Fuser pas le verbe
fuser hein mais lire fuzaire ». Elle était plutôt jolie avec un bruit de
moteur que j’adore. Mais elles ont
présentement disparu pour laisser la place au modèle que nous avons maintenant
qui ont connu multiples transformations. Les premières avaient des raillons dans
les roues. On n’avait pas cette diversité de couleur que
nous voyons maintenant. A chaque mois, sa couleur de moto à la mode à Bamako.
Le mois dernier c’était la couleur rouge vif. Très brillant. Très plaisante. Il
y a eu avant la couleur orange. Ces jours-ci la couleur Rose est de sortie.
Elle me plait aussi. Très élégante, elle marierait facilement les tenues
féminines, surtout quand les roues sont décorées d’or.
Les motos sont chères d’où l’intérêt des femmes qui voient
en elles une bonne manière d’étaler l’aisance financière de leurs familles, de
leurs conjoints ou même de leur banquiers (celui avec lequel elles sortent pour
son argent). Au Niger où les djakartas n’ont pas connu le même essor, les
femmes préfèrent les Yamaha Mate 50 qui arrivent des ports de Lomé et de
Cotonou comme des occasions bien chères. Elles y sont surnommées « Mon
mari est capable » et ne sont pas offerte à toutes. C’est une moto typiquement féminine même si
certains hommes la conduisent.
Au Mali on dit
simplement « Mate Dame » ou « Mate orange » et
du fait de sa fabrication japonaise le prix approche le million de CFA.
Il n’y a pas d’âge ni de condition pour conduire une moto au
Mali. Le port du casque n’est même pas obligatoire. On a bien tenté de
l’introduire de force après les multiples campagnes de sensibilisation, mais
personne ne s’y fait. Même les blancs, je veux dire les occidentaux (car il y a
des maliens blancs !) abandonnent cette bonne habitude en arrivant à
Bamako où tout le monde conduit tête nue quitte à se la fracasser contre une
pierre au premier accident. Je n’ai pas de casque et je suis toujours sur mon
char, même pour acheter une carte de recharge pour mon téléphone. C’est bien
dangereux. Mais bon je suis une malienne. Une vraie maintenant avec certaines des tares.
Je désapprouve fortement cette manie qu’on les parents
d’élèves de se débarrasser de leurs enfants en leur achetant des motos. Les
jeunes adolescents font ce qu’on appelle
le « malvie ». Ce mot désigne les figures acrobatiques et des cascades en pleine rue, dans la
circulation. Ils ont une plaisir fou à
griller les feux de signalisation aux risques de graves accidents. Mais je
reconnais que ces petits chenapans maitrisent cet engin. C’est ainsi que tu
verras d’à côté lâcher son guidon pour
se coucher sur sa selle ou encore je mettre tout simplement à plat-ventre et
crier comme un damné s’il ne décide pas de faire rouler la moto juste sur la rue
avant. Ce n’est pas prudent, pas du
tout, mais je ne peux m’empêcher d’être admirative quand j’assiste à ces
numéros en rentrant de l’école.
Ensuite viennent les adolescentes. Elles n’essayent pas de s’émanciper en faisant les mêmes
cabriolets que les garçons mais elles sont folles de moto. Elles sont prêtes à
tout pour avoir une moto. Le garçon vient draguer à intérêt à avoir une jolie
Djakarta. Neuve de préférence. Quand
elle a la sienne, celle du copain est épargné sinon, les sorties ont un
gout prononcé de ballade à moto, certaines mauvaises langues prétendent même
que les djakartas font concurrence aux chambres de passe et aux hôtels. Je n’en
sais rien ! De toutes manières les
Djakartas et les hôtels sont tous chinois !
La Djakarta est intégrée à tenue vestimentaire de ces jeunes
filles qui s’asseyent la croupe
surélevée alors que le pantalon à la taille basse dévoile une grande partie du
patrimoine ( s’en est-il pas ?), les jambes serrées vers l’avant, les
mèches folles et longues au vent, de
grandes glaces au bout du nez. Elles
utilisent la liberté que l’engin leur accorde à faire ce qu’elles aiment le
plus : se promener avec les garçons, faire l’école buissonnière, aller à
la plage. En cette période de canicule, ils se ruent sur les plages aux bords du
fleuve Niger. Les multiples cas de noyade ne les découragent points. Ils sont innocents et bien jeunes,
responsables sont les parents qui leur ont offert ce « cadeau empoisonné ». On m’a
parlé de certaines audacieuses qui ont
leur numéro de téléphone tatoué juste sur une partie dévoilée. Mais je n’ai jamais plus en rencontrer et me
laisse aller au doute même si je les sais coquines.
Pour les femmes, que dis-je, les DAMES, la Djakarta a été comme une manne bien qu’elle soit
puissante avec ses 4 vitesses et son embrayage automatique. Elle a nous a
libéré des sotramas. Plus besoin de rester une heure au soleil pour avoir un
bus, à suer, ni à tacher leur Bazin riche tellement précieux !le sac à
main, élégant aussi est accroché au guidon. La moto est toujours scintillante,
proprement lavé, d’une couleur à la mode. Leurs motos sont toujours neuves et
de la couleur à la mode.
La djakartas est arrangeante aussi pour les femmes
travailleuses. Cette fois-ci elle permet
de gagner du temps et de l’argent !
En effet, les prix
des transports en commun ne font que grimper d’année en année. En plus , ces
bus sont pratiquement insuffisants pour
Bamako. Le soir, c’est un véritable parcours du combattant qu’il faut
faire pour rentrer et concorder avec le télénolas. Plus tu es chargée, moins tu as de chance
pour rentrer à la maison. Les marchandes ont toutes les peines du monde le
petit soir au grand marché de Bamako. En
tout cas celle qui n’ont pas de moto car la Djakarta est si commode pour transporter
les bagages et autres sacs de condiments
La Djakarta n’appartient donc pas à une seule classe de
femmes. Toutes en ont quel que soit le travail qu’elles exercent, de
l’enseignante à la vendeuse de friperie.
Il suffit de faire le tour de Bamako, à moto de préférence
pour te rendre compte qu’ici c’est naturel pour une femme de conduire une moto.
Tu les verras, les motos encombrées de toutes sortes de marchandises, parfois
l’enfant bien attaché au dos, si elles ne transportent pas toutes sa petite
famille (3 à 4 enfants) tôt le matin ou
le soir, après les cours. Mais en générale, elles ne roulent pas vite. Moi je
dépasse rarement pour ne pas dire que je n’atteins jamais 60/km/h. Moi aussi.
Après m’avoir dépassé sur le pont FAHD, David Kpelly me l’a
fait remarquer, mais je fais tout pour éviter les hommes qui conduisent comme
des fous et sans raison parfois c’est juste un chômeur qui a prêté la moto pour
aller voir une fille qui te rentre dedans et te casse une dent (les prothèses
dentaires sont moches et si chères !).
« Qui va lentement, va
surement » n’est pas maman, toi qui ne voulais même pas que
j’utilise cet engin à Bamako parce qu’on t’avait dit que la circulation y était
dangereuse et après les accidents de mes deux grands-frères ?
C’est d’ailleurs
l’occasion pour vous raconter la petite histoire de ma moto.
Elle m’a été offerte
par ma sœur cadette quand elle a conclu qu’elle ne pourrait jamais arriver à
conduire à Bamako. Comprenez-la, elle est médecin.
Je n’ai commencé à la
conduire qu’à Tombouctou où circulation est presque inexistante.
Baba Wangara qui est un collègue, mais aussi un très bon ami
(nous nous appelons jumeau car nos teints foncés sont proches. Certaines personnes y voient de la
ressemblance quand ils ne nous prennent pas pour un couple. Ce n’est que pure
amitié) m’a appris à la conduire en une semaine. Juste. J’ai commencé mon
apprentissage un lundi soir, vers 17h, à la dune Chirac (une grande dune situé près de
la porte d’entrée de la ville, qui a été
baptisé à l’honneur de Chirac lorsqu’il vint en visite à Tombouctou).
Je portais mon maillot de l’Ajax (la première équipe
que j’ai supporté. J’étais fan de David
entre parenthèse), un pagne bien attaché
et un collant. Je ne suis pas tombé ce
soir-là. J’eus du mal avec l’équilibre car je ne savais conduire qu’avec ma
manette de PlayStation. Baba était assis derrière moi. Le mercredi, je partais
seule avec la moto et essayais de suivre le circuit qu’il m’avait tracé. Je ne
savais pas tourner. Le vendredi soir
après une belle chevauchée dans le sable, je connue ma première chute qui me
value un grand trou dans mon collant et une grande assurance dans ma
conduite. J’ai compris pourquoi on tombe
de la moto et comment. Et surtout quand tu tombes, lâche le poignet. Depuis je
ne suis plus tombée. Je suis rentrée à la maison en conduisant fièrement ma
Djakarta. Rendez-vous a été fixé au samedi matin à l’école.
-
« Tu
peux partir à l’école avec maintenant » me dit mon maitre.
-
« mais
je ne sais tourner que de ma gauche ! » lui dis-je
-
« Oui
je sais mais on devient forgeron en forgeant, tu sauras tourner des deux cotés
en circulant »
Depuis ce samedi matin, je ne sais plus de quel mois de
l’année 2011 je suis rentrée dans l’association des Djakarteuses (pure création
de ma part) de Tombouctou. Mais moi j’utilise ma moto pour aller à l’école
contrairement à d’autres qui n’ont leur Djakarta que pour aller au marché et se
pavaner. Cela ne me déplairait pas si j’étais une Djakarta, c’est une vie de
rêve, déjà que les hommes pensent que
les motos des femmes sont des motos « à l’aise ».
Une vie tranquille… Tombouctou est une ville paisible. Pas
besoin de porter une grande attention à sa moto comme à Bamako où on dérobe les
motos à la moindre occasion. Quand je
rentrais du CFAB (Centre de Formation Ahamadou Badou, une école professionnelle)
où je donnais des cours d’orthographe, je laissais ma moto devant notre maison
jusque tard la nuit, quand je m’apprête
à dormir pour la faire rentrer et boucler la porte.
L’an 2012, mois de mars, un mercredi soir, vers 21h, je
sortis pour aller chercher je ne sais plus quoi à la boutique au bout de la rue
et catastrophe, Mon cœur bondit (je n’ai pas eu cette sensation depuis la
proclamation des résultats du Bac au Lycée Korombé de Niamey) : ma moto
n’était pas là.
Je crus devenir folle. Où est-elle ? Pourtant j’ai condamné le guidon (le cou disons-nous)
j’alarme mon cousin Alhousseini Alhadj
(lui aussi blogueur).
-
« Quand tu sortais, tu n’as pas remarqué
son absence ? »
-
« Si mais je pensais que tu étais
sortie »
Nous suivîmes les traces et demandâmes à une voisine qui
avait sa porte ouverte et ne pouvait qu’avoir vu le voleur. Elle dit non alors
que sa fille la contredit :
-
« Ayegna, je t’ai dit que le jeune homme
est en train de partir avec la moto de Titty, tu m’as dit ‘’a te igné sira la’’
ça ne te regarde pas. »
Je détestai la femme
qui était pourtant une bonne cliente de ma mère (elle vend des
condiments). J’appelai mon jumeau qui
vint aussitôt puis parti à sa recherche en suivant les traces qui se perdirent
dans le marché Yobou Tao, près de chez moi. « Fatouma, je vais foncer voir
sur la route de Goundam. Entre temps va
faire une déclaration à la police ».
La Police ? Une autre histoire. J’y partis avec Alhouss
sur sa moto. Il y avait une équipe de garde. Un officier (je crois hein) prit
ma déclaration de perte et me demanda de
repasser le lendemain matin. Nous passâmes la nuit à chercher et à diffuser la mauvaise nouvelle dans la
ville. Tombouctou est petit. Mais nous
ne la retrouvâmes pas. Je n’ai pas dormi la nuit-là. J’avais l’impression d’avoir perdu un être
cher. Le lendemain je fis un crochet à la police pour voir s’il avait des
nouvelles (sans réellement y croire). Rien. Pire le fameux officier de garde
d’hier n’avait même pas parlé de notre déclaration à ceux qui sont venus le
relever. Si c’est la police qui retrouvera cette moto, je croix que je peux me
résigner et acheter une nouvelle.
Tout le monde me dit d’aller me confier à un certain
marabout de Tombouctou ( je ne veux pas donner son nom sans son avis ).
Plus question de cartésianisme pour moi.
J’y partis. Il est au courant. La
moto n’est pas à Tombouctou. Mais elle
sera retrouvée.
Vendredi, Samedi … les jours passaient et je ne
retrouvais toujours pas ma moto. D’habitude quand une moto disparait à
Tombouctou, ce sont justes des gamins qui « l’empruntent » au
propriétaire un temps et ils l’abandonnent
une fois le carburant fini.
Dimanche, Lundi : après deux heures de français en 2ème
année Généraliste, je partais au CVF (centre virtuel de Formation, c’est notre
salle informatique, j’y assure des cours volontaires d’informatique) pour me
connecter à internet un instant. Grande
amatrice de football, j’organise chaque année un tournois interclasse de mon
nom. Les élèves vinrent m’informer que le professeur d’EPS , organisateur principal
était à ma recherche. Je partais à sa rencontre quand il rentra.
-
« Fatouma, je voulais te dire que
quelqu’un m’a dit avoir vu ta moto à la sortie de Goundam vendredi » me
dit-il d’une voix trainante.
Au lieu d’être contente, je devins furieuse.
-
« Vendredi et aujourd’hui lundi, tu
pouvais me rappeler ! »
-
« désolé, mais je n’avais pas ton
téléphone »
-
« merci quand même ! »
J’appelais aussitôt Baba Wangara qui était à la banque pour
l’informer de la nouvelle. Il me donna
de l’espoir. On va aller voir les réparateurs. Ils se connaissent tous dans la
région. Avec l’indication-là nous pouvons l’avoir. « Si cette moto se trouve à
Goundam, je te jure que je te le ramènerai. ».
Il teint parole car le mardi, je m’apprêtais à sortir quand
il m’appela : « ma jumelle, j’ai ta moto. Amène –moi les papiers et
ne le dit à personne d’abord. je te le ramène demain Inchallah».
Baba est extraordinaire.
J’en avais des larmes aux yeux. Il s’est tellement investit dans cette
histoire de moto. Je me demande si mon propre frère de sang l’aurait fait.
J’avais entretemps pris la moto de ma sœur cadette qui venait d’accoucher et
m’en plaignait tous les jours car la comparant à ma moto qui était plus neuve.
24h plus tard, il était 14h47, je m’en rappelle comme si
c’était hier le klaxon de ma moto retentit devant notre porte. Ce klaxon si
fort qui la rendait particulière. Ma mère fut la première à la reconnaitre je
crois car elle sortit avec moi. Nous deux, pieds nus et Baba couvert de poussière rouge. La moto a
bien changé dans son périple goundamien, mais c’est elle. Son cou est cassé.
Les garde-fous n’y sont plus. Une vieille clé traine derrière. L’affiche d’un
pouce levé y a été collée.
Ma moto avait fait une semaine dans la nature avec un
adolescent de Goundam qui me l’avait volé pour se promener dessus entre Goundam
et Léré. Mais heureusement, il a un père responsable qui l’a amené à la
gendarmerie avec la moto qu’il ne cessait de transformer
Une autre semaine
plus tard, les troupes de Touaregs fous entraient dans la ville des 333 saints
pour y instaurer « une charia » (qui n’a rien à voir avec la vraie).
Quelle chance ! me dit-on. « Ta sœur n’a pas volé
l’argent pour acheter cette moto »